Dimas
Macedo
Ana Costalima
Le discours érotique et la concrétisation de la libido, à
partir de pratiques de la sodomie et de l’érotisation, composent un des traits
les plus accentués de la culture de tous les peuples primitifs. Aussi bien à la
naissance du processus productif, qu’à la phase de l’agraphie de l’expansion du
culte du désir, l’ascèse au niveau corporel prouvait déjà qu’elle conciliait
très bien les aspirations de l’homo naturalis avec les effluves de la
divinité et ses formes multiples d’énergie.
La dimension érotique, dans toute culture primitive ne
s’est jamais présentée dissociée du sacré, même si le ciel et le cosmos ou
encore l’éther et les astres, dans les récits d’anthropologie et d’autres
sciences corrélatives, se montrent comme des éléments intégrants de cette
cosmologie érotique et planétaire.
Le processus productif, l’invention du monde du travail,
l’historicité des relations sociales et humaines, la substitution de l’affection
(corporelle et transcendante) par le fétiche de la marchandise et par les
illusions de la plus-value et de la consommation indistincte, divinisèrent peu
à peu les objets, remplaçant les plaisirs sacrés de l’érotique par les
processus de dégradation et de violence qui touchent tellement notre paix et
notre dignité.
Et c’est pour cela que les efforts
pour le rétablissement de l’érotique mérite autant d’acclamation dans la
modernité, aussi bien de la part de la psychanalyse d’origine freudienne qui centre
son point d’appuis sur la libération de la libido réprimée que sur la
spéculation d’ordre littéraire qui parie sur le discours érotique en tant que
conduction du flux narratif de certaine littérature, dont Henry Miller et ses
romans séducteurs sont les représentants suprêmes.
Les livres sacrés de toutes les
traditions religieuses, l’érotisation des us et des coutumes médiévaux et
latins, les cultures primitives de l’Amérique, les sodomies qui marquèrent la
trajectoire du Marquis de Sade, la filmographie des grands cinéastes, les
arts plastiques de tendances figuratives et néo-figuratives et le monde
bouillonnant des images remplies de séductions et de beauté, qui envahissent,
comme jamais, le champ visuel et auditif, semblent nous restituer la mémoire de
l’érotique comme projet de vie et l’espérance que nous devons conserver à
chaque instant.
Les aventures du Professeur Closeau, écrit par Altere Aretino, est un
de ces livres qui évoque pleinement la tradition de l’érotisation dans la
culture de l’occident. Mélange de fiction romancée et essai critique du
naturalisme moral, cet inventaire d’écrits sur la vie et l’œuvre de Jean Marie
Pierre Closeau compose un des textes récemment lancés au Brésil que l’on voyait
avec un immense critère de justice.
Tout comme Gandhi, Socrate, Merton, Hermann Hess ou
Francisco de Assis, Closeau fut un apôtre de la compassion et de la bonté.
Amant de la philosophie, adepte du naturalisme et de la liberté des sentiments
et des impulsions qui nous mènent vers les terres des plaisirs et vers les
séductions et les fantasmes de l’imaginaire, Closeau nous touche par son
message de livre-penseur, esthète des sculptures d’Apollo et des désirs
fescennins les plus suscités.
Néanmoins, il fut socratique, dans le sens d’une pratique
discursive qui privilégie l’intelligence de ses disciples et de ses
admirateurs. D’abord à Paris, ensuite à Lyon et à Toulouse, Closeau enseigna la
théorie et la pratique d’une certaine didactique du désir, à partir d’un
empirisme que l’on pourrait aussi qualifier d’aristotélique, car par la
relation de cause à effet de tous les rites corporels, le stage ultime de
réalisation de la communication affective fut réalisé, d’ailleurs avec beaucoup
de précision, dans la version brésilienne de cette magnifique nouvelle de
traditions.
Le Professeur Closeau, alors qu’il
enseignait le contenu mûr et profondément humain de ce livre, soutint la
prédominance de la vie sensuelle réservée sur la rigidité des comportements
histrioniques, la survie des énergies de la libido sur les tentations terribles
de Thanatos. Il fut un apologiste
des plaisirs du corps (les plus élémentaires soient-ils) en contre-opposition
aux extases spirituelles qui marquèrent tant une certaine tradition du sacré. A
travers le corps, non pas comme une personnification de forces démoniaques,
mais comme le temple suprême de la liberté et de la beauté.
Chez
Closeau, la théorie et la pratique se mêlent de façon plutôt harmonieuse et
indistincte. Son naturalisme étique, son anarchisme philosophique et sa soif, toujours
renouvelée des formes de plaisirs, le menèrent aux pratiques de la frénésie et
de la satisfaction orgiaque avec un nombre toujours croissant d’élèves avec
lesquelles il apprit et auxquelles il enseigna des méthodes anciennes et
modernes de satisfactions sexuelles, que ce soit par les voix normales de la
relation sexuelles procréatrice, que ce soit par les voix de la sodomie et
libertines qui mènent les énergies du corps vers les vibrations majeures de
l’esprit.
La force de ses idées et de sa pratique sexuelle
libertaire, dans le circuit interne des Universités ou en dehors du cadre
académique de l’Europe, eurent du succès aux quatre coins de la planète. Sa
divulgation toutefois fut affaiblie au Brésil, où une certaine morale
catholique et ultra conservatrice de droit, aussi bien sur le plan moral que
sur le plan institutionnel et politique, empêchent, il y a plus d’un siècle la
diffusion en masse de sa philosophie et de son legs culturel.
Cette année 2005, plus précisément
le 15 octobre, aura lieu le centenaire de la mort de ce grand humaniste
français. Et alors que la France se prépare à revoir l’injustice que le
moralisme et la culture livresque et de fichier imposèrent à la survie et à a
divulgation de ses idées lumineuses, le Brésil fait un pas en avant et est fier
de voir publier à Fortaleza ce livre innovateur d’Altere Aretino.
L’auteur de ce nouveau roman passionnant, hélas, se cache
sous un pseudonyme, car il ne sent pas en sécurité lorsqu’il expose ouvertement
la pensée de Closeau. Et de ce fait, il est sûr, le traducteur devient un
certain mystère, qui fonctionne pour le lecteur comme une technique de roman,
le conduisant à douter si Altere est un alter-ego de Closeau, le
traducteur du livre au brésil, l’auteur de la version primitive du récit ou
l’organisateur de l’édition qui s’engage à le diffuser.
Peu importe. La publication qui va désormais être faite de
ce livre grandiose sur les terres d’Iracema sert à commémorer le premier
centenaire de la mort de Closeau. Il s’agit d’une édition bilingue
français/portugais, où le lecteur peut côtoyer l’authenticité des enseignements
du grand philosophe et littérateur de Paris et savourer avec plaisir les
grandes lignes du naturalisme et de la beauté, de sodomies, de pluralisme
érotique et de compulsion orgiaque que ce livre mûr et passionnant expose.
Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je ne m’étendrai
pas sur l’auteur. Mais comme je ne peux méconnaître que le style est l’homme,
je commence à apprécier l’écrit et donc, le style littéraire mûr que ce volume
renferme. Je remarque dans son langage littéraire aux tendances esthétiques
soignées et à l’accent polyphonique minutieux: des voix certainement plurimes
de celui qui dans ce livre fait de la pensée par des images et du flux de la
narration discontinue une des grandes découvertes pour la diffusion de l’art
littéraire.
Peu importe si le contenu de l’œuvre s’expose dans ce
livre sur un pied d’égalité avec la manière qui se dessine ici. La gloire
de tout écrivain, au contraire, en découle justement. Platon, le plus grand
prince des essayistes qui pensèrent avec un esprit de philosophe, est devenu
héraut de ce procédé d’écriture. Tout comme Montaigne. Dans ce livre, on constate que
l’écrit se montre ici entièrement chargé d’érotisme et va à l’encontre des
principes de la morale et défend une esthétique mobilisatrice du désir.
Et si ce n’était pas le cas, je ne crois pas que je
recommanderais la lecture de ce livre. Je ne dirai pas non plus que son auteur
a une grande vocation d’écrivain, qui redécouvre et dévoile une nouvelle
technique de roman, qui renouvelle la pensée philosophique parmi nous et qui
fait de l’érudition et du talent une forme permanente de séduction et de
beauté.
Quoique encore de façon passagère, ce livre rappelle le
poème Lolita de Nabokov, A Divina Relação do Corpo, de
Alcides Pintos ou encore le polémique Hieronymus Bosh dans sa phase la plus
audacieuse. Il ne s’agit pas d’un récit historique, je pense. Il s’agit de
fiction et de mémoires. Mémoires de la liberté bouillonnante et des aventures
érotiques de l’auteur. Il rappelle A Casa dos Budas Ditosos, de João
Ubaldo Ribeiro, mais nous renvoie fondamentalement à l’érotisme qui refait les
chemins du plaisir. C’est de la fiction, pour certains, mêlée aux enchantements
de la vraisemblance et à la modernité qu’il recrée, à chaque sentiment, la
perfection de l’art littéraire.
Fortaleza, le 13 decembre 2005
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